■ Une ville sous couvre-feu
Les violences de ces derniers jours à Bamenda et sa région ont conduit à l'instauration par le gouverneur du Nord-Ouest d'un couvre-feu sur la ville. Ainsi entre 20h et 6h du matin, la ville est en arrêt complet. Une situation qui affecte l'attractivité et l'économie de Bamenda, quatrième ville Camerounaise. Les résidents s'en émeuvent et dénoncent une ville qui se meurt.
Etudiant à Bamenda depuis trois ans, Victor a aujourd’hui bien du mal à reconnaître sa ville en raison de la mesure du couvre-feu décidée par le gouverneur. « La ville de Bamenda est en train de mourir parce qu'on a une ville morte, le commerce ne marche pas, la ville est franchement morte. Les voitures ne passent pas, et parfois il y a ville morte deux ou trois fois par semaine. Et quand c’est comme ça, les étudiants qui doivent partir à l’école et les enfants ont un problème ».
Ce grand amateur des ambiances nocturnes ne peut que regretter les restrictions d’horaires qu’impose le couvre-feu dès à peine 20 heures : « A partir de 20 heures, auparavant on s’apprêtait pour aller en boîte de nuit, sortir, boire avec les camarades une ou deux bières. Maintenant, c’est le contraire. C’est comme si nous sommes à l’internat ».
Pour le docteur Ningouoyen, promoteur d’un établissement d’enseignement supérieur, au-delà de la seule ville de Bamenda, c’est tout le Cameroun anglophone qui se meurt : « Oui, c’est la mort de la partie anglophone du pays, plus rien ne se passe. Ça n’aide personne. Ce n’est à l’avantage de personne et tout le monde souffre. Beaucoup de promoteurs immobiliers ont perdu de la clientèle ici à Bamenda. Les maisons sont vides parce que les étrangers et les francophones s’en vont, même certains anglophones qui avaient des affaires ici sont allés ailleurs. Nous vivons dans une ville morte ».
La tension loin d’être retombée dans la région pourrait malheureusement conduire au maintien pour une période indéfinie de ce couvre-feu.
■ L'inquiétude de l'Eglise catholique
L'Eglise catholique à Bamenda est préoccupée par la situation de crise dans les deux régions anglophones. Alors que la tension perdure et que les différents appels au dialogue sont jusqu'ici au point mort, les évêques invitent le président Paul Biya à venir dans ces régions constater par lui-même la situation sur le terrain et ouvrir un dialogue avec toutes les parties, y compris les plus radicalisées.
Les évêques catholiques des régions anglophones du Cameroun n’en finissent plus de tirer les sonnettes d’alarme. Après avoir exprimé par le passé des critiques vis-à-vis des forces de l’ordre, l’église constate un durcissement de la crise.
« On est inquiets, insiste monseigneur Michael Miabesue Bibi, évêque auxiliaire de Bamanda. Si on regarde tout ce qui se passe… Les choses sont vraiment difficiles. Ça dérange l’Eglise ». L’Eglise appelle au dialogue et pour monseigneur Bibi, ce dialogue ne peut se faire qu’avec l’implication personnelle du président Paul Biya.
« Je pense que si un dirigeant doit dialoguer, ça doit commencer avec notre chef de l’Etat. C’est lui notre père. Si vous avez des enfants qui sont sécessionnistes, qui sont terroristes, c’est toujours vos enfants. Il faut essayer de le rappeler, avec tout le monde, avec de la bonne volonté. Comme ça, même l’Eglise, on vient et on regarde quel est le problème ».
Tous les vendredis, les journées d’adoration ont été instituées dans les chapelles des deux régions anglophones avec pour seule intention, le retour à la paix.
■ L’idée d’un « Etat de l’Ambazonie » suscite le débat
L’ouest du Cameroun traverse une grave crise politique caractérisée, entre autres, par les revendications sécessionnistes de certains activistes anglophones. Les plus radicalisés affirment se battre au nom de l’« Etat de l’Ambazonie ». A Bamenda, l'un des épicentres de la crise et capitale régionale du Nord-Ouest, le sujet relève presque du fantasme. Une création idéologique en débat, y compris à Bamenda.
A Bamenda, difficile de rencontrer des personnes qui s’en revendiquent ouvertement, mais « l’Ambazonie », du nom de cet Etat rêvé par les indépendantistes, est dans tous les esprits.
Promoteur d’un établissement d’enseignement supérieur, sur la question de cet Etat imaginaire et de l’attitude à avoir vis-à-vis de ceux qui le défendent, invite à interroger non pas les effets, mais plutôt la cause.
« Le problème, c'est qu’il ne faut ni les traiter comme des terroristes, ni comme des sécessionnistes. Il ne faut pas non plus les traiter comme des criminels. Vous savez, à partir du moment où vous commencez à coller de telles étiquettes sur les gens, il faut vous poser les bonnes questions et vous demander, pourquoi ? »
Pour autant, croit savoir notre interlocuteur, le problème ne réside pas dans une opposition entre anglophones et francophones. « Les anglophones qui sont ici, les anglophones que vous voyez dehors là, ils ne détestent pas les francophones. Nous sommes frères et sœurs. Nous mangeons les mêmes nourritures, nous buvons les mêmes vins, nous partageons nos joies et nos peines. Le problème à mon avis, c'est notre administration. »
Vendeur à la sauvette, Fidelis est quant à lui formel : l’Ambazonie, c’est hors de propos. « Depuis la réunification, Le Cameroun est devenu un et indivisible. Pour tous ceux qui créent l'Ambazonie ou je ne sais quoi d'autre, je pense que le Cameroun est un. Je suis Camerounais et fier de l'être. »
Les positions restent ainsi clivantes sur ce débat qui est très loin d’être tranché.
■ Ces anglophones réfugiés en zone francophone
La situation pousse de nombreux résidents à quitter Bamenda et sa région pour les villes voisines situées en zone francophone. C’est notamment le cas de Bafoussam, qui accueille plusieurs de ces déplacés intérieurs.
Il y a six mois à peine, Victor était encore taximan dans les rues de Bamenda. Mais avec la persistance de la crise dans sa ville de cœur, ce père de famille de 38 ans s’est vu contraint de s’installer avec son outil de travail 70 kilomètres plus loin, dans la première grande ville francophone, à Bafoussam.
« Je suis taximan, je suis à Bafoussam mais ma famille est restée à Bamenda, explique-t-il. Je suis ici à cause de la crise qui perturbe énormément le secteur des transports avec les villes mortes mais aussi le couvre-feu que le gouverneur a instruit sur la cessation de toute activité à partir de 7h du soir. Ça affecte beaucoup mes affaires et c'est pour cela que je suis venu avec mon taxi ici. »
Si sa femme et ses trois enfants sont toujours à Bamenda, il dit envisager de regrouper toute la famille afin de garantir sa sécurité. « Si la crise se poursuit, je pense que je vais pas abandonner ma famille là-bas parce qu'il y a aussi beaucoup d'insécurité. Je pense que si ça marche pour moi ici, je vais chercher une maison pour mettre ma famille en sécurité et tout le monde viendra rester avec moi. »
Comme Victor, ils sont des centaines, voire des milliers à avoir fait le choix de Bafoussam. Des familles entières avec, souvent, en tête des préoccupations, le souci de scolariser les enfants.
Source : RFI