
La justice zimbabwéenne vient d’acquitter vendredi dernier 66 des 74 mercenaires de l’équipe de Mann, qui pour sa part a été inculpé de tentative d’achat illégal d’armes et sera condamné le 10 septembre à une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison.
Le verdict en Guinée Équatoriale concernant Nick Du Toit et 18 hommes de son « équipe cheval de Troie » a quant à lui été ajourné à la demande du procureur, compte tenu des nouveaux éléments qui sont apparus ces derniers jours et mettent en cause Mark Thatcher. Du Toit, qui a affirmé que Thatcher était présent lors d’une réunion de préparation du coup, pourrait d’ailleurs être acquitté en raison de sa coopération dans le cadre de l’enquête [1].
Au centre du volet Thatcher, la compagnie d’aviation Triple A Aviation qu’il aurait utilisée pour transférer les quelques 275 000 dollars de financement de l’opération. En janvier, la compagnie aurait signé un contrat de prestation de services aériens avec Logo, la compagnie de Simon Mann. Les enregistrements bancaires mettent en évidence un transfert de 100 000 dollars vers le compte de Logo, daté du 2 mars, soit quelques jours seulement avant la tentative de coup avortée [2].
Si la demande d’extradition du fils de la « Dame de fer » vers la Guinée Équatoriale a été refusée par l’Afrique du Sud, les enquêteurs pourront néanmoins l’interroger sur place. Il s’apprêtait à quitter le pays, où il s’était installé en 1996 pour échapper à une enquête fiscale. Il avait mis sa résidence en vente pour 4,5 millions de dollars et avait réservé des billets d’avion à destination des États-Unis pour sa famille lorsque les Scorpions l’ont interpellé.
Des témoins stimulés par les lois anti-mercenariat
Plusieurs témoins-clés sont donc passés à table, vraisemblablement inquiets de la sévérité des lois anti-mercenariat en vigueur en Afrique du Sud et au Zimbabwe. Confirmant la thèse selon laquelle, à l’issue du coup d’État, le leader équato-guinéen en exil Severo Moto devait être installé aux commandes du pays, l’un d’entre eux vient de livrer des éléments décisifs pour l’enquête menée par la justice sud-africaine : il s’agit de Crause Steyl, partenaire financier de Thatcher et ancien pilote d’élite. Outre les contrats pour la fourniture de matériel aéronautique passés entre lui et Thatcher, le quotidien britannique The Observer vient de révéler de source sud-africaine que Crause Steyl avait accompagné Moto à bord d’un aéronef de type King Air 200, depuis Madrid jusqu’aux îles Canaries, la veille du jour prévu pour l’opération. L’avion aurait ensuite pris la direction de Bamako (Mali) où Moto devait être tenu au courant de la progression du putsch.
Tout était minutieusement prévu pour que Moto soit installé au pouvoir dans les 30 minutes qui auraient suivi le renversement d’Obiang. Mais le jour suivant, le Boeing 727 militarisé [3] piloté par Neil Steyl, le frère de Crause Steyl, et à bord duquel se trouvaient Mann et ses quelques 60 mercenaires, était arraisonné à l’aéroport de Harrare.
D’autre part, on apprenait récemment que le bras droit de Simon Mann, un jeune homme de 24 ans, James Kershaw, est en possession d’une liste connue comme la « Liste Wonga », qui mentionne les personnalités parfois influentes et publiques ayant financé le projet de putsch. Cité comme recruteur de l’opération par plusieurs témoins, il aurait passé un accord avec la justice sud-africaine pour apporter des éléments de preuve lors des futures audiences.
Le rôle du businessman d’origine libanaise Ely Calil s’est également confirmé et éclairci, d’une part en raison des recoupements sur le rôle de Severo Moto, dont il est un proche ami, mais également grâce au témoignage de Mann, riche en détails et qui ne paraît pas, avec de la distance, avoir été obtenu par la torture. Il expliquait ainsi dans sa déposition : « Ely Calil m’a demandé si je voulais rencontrer Severo Moto (...). J’ai rencontré Severo Moto à Madrid. Il est certainement un homme bon et honnête. Il a fait des années de séminaire (...) À ce moment-là ils m’ont demandé si je pouvais participer à l’escorte de Severo Moto jusque chez lui à un moment précis alors que simultanément il y aurait un soulèvement de l’armée et des civils contre Obiang (...) J’ai accepté d’essayer de venir en aide à cette cause. ».b[
Calil est aussi un proche ami de Lord Jeffrey Archer, soupçonné d’avoir versé 74 000 livres sterling sur le compte de Mann 4 jours avant que ce dernier soit arrêté au Zimbabwe. Le Lord et écrivain à succès n’a pas nié avoir effectué ce versement, tout en jurant ne pas avoir été au courant des projets de ses amis [4].
L’OTAN au service de la Coalition du pétrole
Mais l’histoire ne s’arrête pas là : au-delà de la personnalité de Mark Thatcher qui fait diversion, ses véritables acteurs commencent à se détacher d’une toile de fond, l’OTAN, et la France se sont livrés à une lutte stratégique qui rappelle singulièrement la situation de l’Irak, autre pays parmi ceux, désormais rares, à offrir de solides perspectives de retours sur investissements dans le secteur de l’énergie.
En effet, la thèse d’une simple opération « à l’ancienne » diligentée par quelques mercenaires et aventuriers de la finance internationale ne tient guère la route dans un contexte de tensions croissantes sur le marché de l’approvisionnement énergétique mondial. On sait par exemple que la compagnie pétrolière états-unienne Marathon Oil devait investir 1 milliard de dollars dans un projet de terminal de gaz naturel liquéfié en Guinée Équatoriale. Cependant, certains experts, qui soulignent que ce projet est le plus important au monde dans le domaine du gaz liquéfié, estiment ce contrat à 3 milliards de dollars.
Le terminal devait répondre au programme d’urgence visant à compenser la baisse vertigineuse de la production états-unienne domestique. Ce programme d’urgence est au centre des préoccupations de Washington et ne peut évidemment en aucun cas être laissé à la seule appréciation du marché qui s’est montré incapable d’anticiper la crise [5] . Curieusement, le site de la compagnie précise que le contrat passé avec le ministère des Mines, de l’Industrie et de l’Énergie équato-guinéen et la compagnie nationale GEPetrol doit être finalisé... au premier trimestre 2004. Un obstacle imprévu aurait-il contrarié ces plans ?
En décembre 2002, le Premier ministre espagnol José Maria Aznar recevait Téodoro Obiang Ngema à Madrid. Outre l’amitié de longue date entre Aznar et le rival d’Obiang, Severo Moto [6], les ambitions de la compagnie espagnole Repsol, jusqu’alors totalement écartée de la production des 400 000 barils quotidiens équato-guinéens, furent au menu des discussions entre les deux leaders. Néanmoins, l’essentiel des contrats d’exploitation étant déjà signés et la production ne pouvant guère être augmentée, Repsol devait se contenter des miettes que lui laissaient Exxon-Mobil, Amerada Hess (ancienne Triton) et Total, principales compagnies actives sur le sol équato-guinéen.
Une réunion était organisée en février dernier au Royal Institute of International Affairs de Londres sur l’avenir de la Guinée Équatoriale. Au moins un représentant du gouvernement britannique ainsi que des représentants de l’industrie pétrolière étaient présents pour l’occasion, et selon plusieurs personnes présentes à la réunion, de nombreuses rumeurs y circulaient quant à l’éventualité d’un coup d’État. Pourtant, suite à une récente affirmation du quotidien The Observer selon laquelle les services secrets anglais, états-uniens et espagnols avaient connaissance du projet de putsch [7], le ministre des Affaires étrangères Jack Straw s’est empressé de déclarer que le gouvernement de Tony Blair n’avait aucune connaissance préalable de ce projet.
Quoi qu’il en soit, alors même que ce projet entrait dans sa phase finale et que les mercenaires se préparaient à entrer en action, deux navires de guerre espagnols quittaient subrepticement une base de l’OTAN, celle de Rota, avec à leur bord 500 soldats d’élite. Seuls les personnnels embarqués semblaient être au courant de leur destination, et l’Espagne n’avait pas envoyé de navire en Guinée Équatoriale depuis l’indépendance du pays en 1968. Ce mouvement était placé sous le contrôle direct du Commandant en chef du Commandement européen des forces états-uniennes et Commandeur suprême de l’OTAN, le général James L. Jones.b[
Cette implication de l’OTAN ne laisse planer aucun doute sur la participation des États-Unis aux projets de Thatcher, Mann et consorts.
D’autres sources affirment que l’Espagne allait profiter d’un séjour d’Obiang au Maroc, où il se fait régulièrement soigner pour un cancer, pour soutenir les mercenaires, « rétablir l’ordre » sur l’île dans l’éventualité que la situation dégénère, installer Moto au pouvoir et lancer un mandat d’arrêt international contre Obiang.

Il y a trente ans, dans un scénario digne d’un roman de Frederick Forsyth, quelques mercenaires habiles et sans scrupules se seraient assurés une retraite paisible. Aujourd’hui, pour quelques milliers de barils de plus, c’est l’OTAN, au nom de la même Coalition pétrolière qui a envahi l’Irak, qui est partie à l’aventure avec la haute finance internationale dans son sillage.
par Arthur Lepic
RÉSEAU VOLTAIRE | PARIS (FRANCE) | 31 AOÛT 2004
