Ces mises en examen s’inscrivent dans une liste déjà longue de personnalités politiques dont des biens immobiliers et mobiliers de luxe ont été saisis en France. Malgré les délais entre les premières plaintes déposées en 2007 par des associations internationales et la condamnation suivie de la confiscation de ces biens, cette affaire a permis de révéler l’implication et le manque de vigilance de certaines banques françaises dans le placement de ces avoirs. Face à la multiplication des obligations réglementaires en matière de LCB-FT, il est devenu essentiel pour les banques de prendre en compte les risques associés à certaines catégories de clients et d’encadrer ces placements.
Des pays en développement volés de dizaines de milliards de dollars chaque année
Révélée en 2007, l’affaire des biens mal acquis a conduit à de nombreuses mises en examen de chefs d’Etat et de ministres ayant acquis par le détournement de fonds publics, de corruption ou de crimes de guerre des biens immobiliers et mobiliers de luxe en France, tels que des voitures de luxe, hôtels particuliers à Paris, villas sur la Côte d’Azur, yachts, etc. Ces poursuites judiciaires touchent également des membres de familles dirigeantes du Gabon, de la République Démocratique du Congo, de la Guinée équatoriale ou du Burkina Faso. Malgré les tentatives de riposte de certains hommes d’Etat africains (plainte pour diffamation, fermetures d’ambassades, tentatives d’assassinats et d’intimidation), les premières saisies en France ont commencé en 2011.
En 2017, Teodorin Obiang, Vice-Président de la Guinée Équatoriale, est condamné par le Tribunal correctionnel de Paris à 3 ans de prison, 30 millions d’euros d’amende et la confiscation de ses biens saisis en France.
En 2021, la Cour de cassation le condamne dans un arrêt historique et ordonne la restitution de 150 millions d’euros à la Guinée Equatoriale.
Ainsi, chaque année, ce sont 20 à 40 milliards de dollars qui seraient détournés par ces dirigeants au train de vie luxueux, au détriment de populations de pays en développement privées d’infrastructures et de services publics essentiels.
Une vigilance nécessaire au sein des banques françaises
Certaines banques françaises ont fait l’objet d’enquêtes judiciaires dans le cadre de cette affaire.
En 2015, la Société Générale a été placée sous le statut de témoin assisté lors de la mise en examen de Teodorin Obiang. De son côté, BNP Paribas a été mise en examen en mai 2021 pour "blanchiment de corruption et de détournement de fonds publics » dans le cadre du volet gabonais des biens mal acquis. La banque aurait omis de transmettre des déclarations de soupçon entre 2002 et 2009 malgré le fonctionnement atypique d’un compte appartenant à une société de décoration et alimenté par des membres de la famille d’Omar Bongo, alors président du Gabon.
Face à l’augmentation des clients concernés par ces révélations et afin de se prémunir contre un risque réputationnel important, les banques ont dû adapter leur approche. Lors de la détection d’informations défavorables sur un client, les équipes KYC (Know Your customer) en charge de la récolte et de l’étude des données relatives aux clients peuvent choisir de monitorer le risque client. Elles optent alors pour une notation de risque élevée impliquant une revue client annuelle et une surveillance plus poussée en termes de filtrage. Le client est alors restreint et doit faire l’objet d’un accord des équipes Conformité pour chaque transaction bancaire. Ces dernières peuvent également refuser la transaction et décider de transmettre une déclaration de soupçon dans les conditions prévues à l’article L 561-15 du Code monétaire et financier.
Mais certaines banques adoptent une approche plus stricte afin d’éviter des campagnes de revue longues et coûteuses. Le phénomène de « de-risking » implique ainsi de refuser de traiter ou de mettre fin à la relation d’affaires avec des catégories entières de clients à risque, comme des personnalités politiques exposées et leur entourage. Le GAFI rappelle cependant que ce processus de grande échelle ne doit pas empêcher les institutions financières d’étudier le risque au cas par cas en suivant l’approche par les risques.
Un nouveau cadre légal pour lutter contre ce phénomène et encadrer la restitution de ces biens
Face aux demandes des associations de défense des victimes, le gouvernement français s’est emparé de la question de la restitution des biens mal acquis. Jusqu’en 2021, la Convention des Nations Unies sur la corruption de 2003 prévoyait la restitution obligatoire et intégrale des avoirs illicites au profit de l’État étranger victime dans les cas de blanchiment de fonds publics. Mais les règles issues de cette convention étaient en pratique peu appliquées, un accord étant nécessaire avec le pays d’origine, parfois encore dirigé par des personnes impliquées dans ces affaires. Malgré la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale et la création de l’AGRASC (l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisquées), le dispositif de restitution restait insuffisant.
Le Sénat a donc mis en place un mécanisme prévoyant la restitution des fonds issus de la confiscation des biens mal acquis aux populations spoliées grâce à des actions de coopération et de développement.(2) Les sommes issues de ces détournements seraient isolées au sein du budget de l’Etat français au sein d’un fonds dédié avant d’être restituées aux populations. Ce nouveau mécanisme doit être mis en œuvre par la Loi de Finances 2022, et des organisations telles que l’Agence française de développement ou la Banque mondiale pourront utiliser ces fonds afin de mener des actions de coopération et de développement, offrant ainsi une double garantie. Les avoirs illicites recouvrés en France contribueront au développement des pays qui en ont été privés tout en confortant l’effort de la France en matière de lutte contre la corruption transnationale.
Après la confiscation définitive des biens, leur vente et l’ouverture de crédits sur le programme budgétaire, des accords bilatéraux devront être trouvés avec l’Etat d’origine avant l’allocation des fonds par l’AFD et son suivi. La loi de 2021 comporte ainsi trois principes ; une exigence de transparence, de redevabilité et d’inclusivité grâce à l’association d’ONG françaises et d’ONG du pays d’origine.
Si les mises en examen continuent aujourd’hui dans le volet africain de l’affaire des biens mal acquis, le gouvernement français s’est récemment penché sur les biens acquis par des oligarques russes en France dans le cadre des sanctions contre la Russie après l’invasion de l’Ukraine. Fin mars 2022, Bruno Le Maire déclarait que 856 millions d’euros d’avoirs et biens immobiliers appartenant à des oligarques Russes avaient été gelés en France.(3) Mais il s’agit en pratique d’une immobilisation de biens, la saisie nécessitant une infraction pénale. En attendant, malgré les procédures de condamnation, de vente et de restitution trop longues, la France a véritablement franchi un cap dans la lutte contre la corruption internationale. Elle doit maintenant affirmer cette volonté politique auprès des institutions bancaires dans la prévention de ce phénomène, les banques ayant également un rôle important à jouer dans la détection et la restitution de ces avoirs.
1 https://www.france24.com/fr/afrique/20220421-biens-mal-acquis-la-mise-en-examen-de-la-fille-d-omar-bongo-jug%C3%A9e-scandaleuse
2 Loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales proposée par le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur.
3 https://www.lefigaro.fr/conjoncture/guerre-en-ukraine-856-millions-d-euros-d-avoirs-et-bien-d-oligarques-russes-ont-ete-geles-en-france-declare-bruno-le-maire-20220320
Source : EconomieMatin