Yanis Thomas : En prévision des élections qui vont avoir lieu le 27 août, le pouvoir gabonais mène à l’heure actuelle une très violente répression vis-à-vis de son opposition. Et il nous semble primordial que la France ne cautionne pas ces agissements en retirant ses coopérants militaires ou policiers au Gabon afin, effectivement, de ne pas soutenir le coup de force électoral qui est en train de se passer au Gabon.
Vous parlez d’une très violente répression, mais les candidats de l’opposition peuvent s’exprimer et peuvent faire campagne, non ?
Absolument. Mais un certain nombre de militants syndicaux ou politiques ont été enfermés et mis sous les verrous en juillet, en prévision de cette élection du 27 août.
De fait, à la suite d’un meeting de l’opposition le 9 juillet à Libreville, plusieurs leaders syndicalistes et étudiants ont été arrêtés. Qu’en est-il pour eux aujourd’hui ?
A notre connaissance, un certain nombre de militants ont pu être relâchés, mais ce n’est pas le cas des principales têtes de file, notamment Jean-Rémy Yama de Dynamique unitaire. Et donc les leaders des mouvements d’opposition n’ont pas la possibilité de mener librement leur activité politique à l’heure actuelle.
Quel rapport peut-il y avoir entre ces arrestations et la coopération sécuritaire française à Libreville ?
Il se trouve que notamment, cas emblématique, il y a un commandant de police français qui est détaché en tant que conseiller auprès du commandant des forces de police gabonaises et donc, qui est aux premières loges pour suivre et d’une certaine façon cautionner la répression en cours. Il nous semble tout à fait inopportun de maintenir ce type de coopération alors même que le régime d’Ali Bongo qui, il faut le rappeler est un régime qui est directement issu du système de la Françafrique, emblématique de ce système, est en train de mettre en place une élection potentiellement frauduleuse alors même que la famille Bongo gère le pays depuis des décennies.
Qu’en est-il de la base militaire française à Libreville ? Elle n’est pas visée par votre dernière interpellation ?
Effectivement, nous avons décidé d’axer notre rapport d’avril 2016 principalement sur cette coopération militaire qui est assez méconnue en France. Mais effectivement, il y a aussi au Gabon une base française d’importance, qui a servi pour le déploiement de l’opération Sangaris en Centrafrique notamment. Cette base sert d’assurance vie au régime gabonais, et a pu servir de cette façon tout au long de l’histoire gabonaise récente. Et le rapport d’avril 2016 est spécifique sur un thème, mais il ne remet pas en cause notre revendication globale qui est le retrait des troupes françaises d’Afrique.
Autre pays dans votre collimateur, Djibouti, le Congo-Brazzaville et le Tchad, trois pays où ont eu lieu des élections présidentielles cette année et où le président sortant a été réélu dès le premier tour. D’abord Djibouti. Qu’est-ce que vous reprochez à la politique française dans ce pays ?
De la même façon qu’au Tchad et au Congo-Brazzaville, de soutenir un régime dictatorial qui s’est notamment illustré par des tirs contre des opposants à décembre 2015 à Djibouti. Et donc, on avalise des élections de complaisance sous prétexte d’intérêts géostratégiques. On sait que la base militaire française de Djibouti est extrêmement importante pour la France.
Au Congo-Brazzaville, vous dénoncez ce que vous appelez « les complaisances » du président Hollande, mais celui-ci n’a-t-il pas fait retirer tous les coopérants sécuritaires français après le référendum constitutionnel d’octobre 2015 ?
Le Congo-Brazzaville est en fait à mon sens un symbole du renoncement diplomatique de François Hollande, même si effectivement il y a pu avoir retrait pour le coup des coopérants français, mais après un long combat, il a fallu batailler. Monsieur François Hollande a soutenu diplomatiquement le référendum d’octobre 2015, qui a permis à monsieur Denis Sassou-Nguesso de se représenter une nouvelle fois alors qu’il occupe le pouvoir quasiment sans discontinuer depuis 1979.
Entre François Hollande et Denis Sassou-Nguesso, chacun sait que ce n’est pas le grand amour tout de même. Le président français n’a envoyé aucun représentant de Paris à la dernière investiture du président congolais ?
Oui. Mais ça n’en fait pas pour le coup une condamnation ferme et massive de cette mascarade électorale. Des positions beaucoup plus fortes auraient été nécessaires dans ce cas précis.
Le Tchad, vous pointez la très forte présence militaire française dans ce pays malgré la réélection très controversée d’Idriss Déby le 10 avril 2016. Mais le Tchad, n’est-il pas en première ligne face aux jihadistes du Sahel et de Boko Haram ?
Il ne faut absolument pas que la rhétorique actuelle de la guerre contre le terrorisme mise en place par la France serve à soutenir et voir même à réhabiliter dans le cadre du régime d’Idriss Déby, un régime qui oppresse sa propre population, et un personnage qui est en place depuis le début des années 1990.
En ces temps de menace terroriste tous azimuts, en France, au Sahel, au Moyen-Orient, est-ce que vous ne craignez pas de tomber à côté de la plaque vis-à-vis de l’opinion publique internationale ?
Absolument pas. Au contraire, il me semble extrêmement important de rappeler un certain nombre de réalité concernant cette guerre contre le terrorisme qu’on essaye de nous vendre. Et il ne faut absolument pas céder à la panique pour le coup et bien analyser extrêmement factuellement quelles conséquences directes peut avoir le soutien de dictature sous prétexte d’une lutte contre le terrorisme, étant entendu que ces régimes terroristes ont aussi leurs populations et tirent sur leurs populations.